NAZIM HIKMET
Le Chant des Hommes
Label Faubourg du monde | Collection Poésie et musique
Coup de cœur de l’Académie Charles Cros
Avec Eve Griliquez et Jean-Luc Debattice
Direction musicale, flûtes, voix : Luis Rigou
Saxophone : Hélène Arntzen
Violon, guitare : Alfonso Pacin
Saz, guitare , voix : Maruf Çetiner
Percussions , voix : Tufan Akis
Piano : Laurent Compignie
Ney : Kudsi Erguner
Une approche créative et exigeante de l’œuvre du grand poète turc.
J’ai eu le bonheur de le rencontrer à pIusieurs reprises: lors d’un spectacle modeste dans un cabaret où il est venu à la répétition avec son ami Abidine. Il se disait touché par « l’honneur que nous Iui faisions » et il m’a fait une belle dédicace que je montre toujours avec fierté. Puis je l’ai Interviewé dans sa chambre d’hôtel pour ma première émission. Cette interview est un peu maladroite, j’étais intimidée par ce « géant aux yeux bleus » aussi beau que sa poésie. Et puis, peu de temps avant sa mort, il est venu écouter l’émission dans le chantier du théâtre de Plaisance.
Depuis, j’ai rencontré d’autres poètes importants, mais je n’oublierai jamais Nazim et je lui suis toujours restée fidèle. Il a eté chanté en français par Yves MONTAND et beaucoup d’autres. Son « Chant des Hommes » est devenu célèbre. La Turquie lui a enfin rendu sa place.
J’ai voulu Iui dédier ce disque et j’ai eu la chance de croiser des complices musiciens turcs, français, argentins, norvégiens, qui tous dans une création musicale ont su composer comme une fresque sous la direction d’un musicien argentin inspiré, Luis RIGOU.
Différents thèmes dans ce montage : l’amour de la vie, la prison, l’exil et les souvenirs, la nostalgie figurée par les arbres, sa biographie, son testament où il ne rêve que d’être enterré sous un platane d’Anatolie. Il ne réalisera pas ce rêve. Nazim HIKMET est mort à Moscou un matin où il descendait chercher son courrier, de ce qu’on appelait une « angine de poitrine ».
Son œuvre lui survit, chaleureuse et vivante, turque et universelle.
Ève Griliquez
AUTOBIOGRAPHIE
Je suis né en 1902
Je ne suis jamais revenu dans ma ville natale.
Je n’aime pas les retours.
A l’âge de trois ans à Alep, je fis profession de petit-fils de pacha à dix-neuf ans,
d’étudiant à l’Université communiste de Moscou à quarante-neuf ans à Moscou,
d’invité du Comité Central, et depuis ma quatorzième année, j’exerce le métier de poète.
Il y a des gens qui connaissent les diverses variétés de poissons
moi celles des séparations.
Il y a des gens qui peuvent citer par cœur le nom des étoiles,
moi ceux des nostalgies.
J’ai été locataire et des prisons et des grands hôtels,
j’ai connu la faim et aussi la grève de la faim et il n’est pas
de mets dont j’ignore le goût.
Quand j’ai atteint trente ans on a voulu me pendre,
à ma quarante-huitième année on a voulu me donner le Prix mondial de la Paix
et on me l’a donné.
Au cours de ma trente-sixième année, j’ai parcouru en six mois quatre mètres carrés de béton,
dans ma cinquante-neuvième année j’ai volé de Prague à La Havane en dix-huit heures.
Je n’ai pas vu Lénine, mais j’ai monté la garde près de son catafalque en 1924.
En 1961 le mausolée que je visite, ce sont ses livres.
On s’est efforcé de me détacher de mon Parti ça n’a pas marché.
Je n’ai pas été écrasé sous les idoles qui tombent.
En 1951 sur une mer, en compagnie d’un camarade, j’ai marché vers la mort.
En 1952, le cœur fêlé, j’ai attendu la mort quatre mois allongé sur le dos.
J’ai été fou de jalousie des femmes que j’ai aimées.
Je n’ai même pas envié Charlot pour un iota.
J’ai trompé mes femmes
mais n’ai jamais médit derrière le dos de mes amis.
J’ai bu sans devenir ivrogne,
par bonheur, j’ai toujours gagné mon pain à la sueur de mon front.
Si j’ai menti c’est qu’il m’est arrivé d’avoir honte pour autrui,
j’ai menti pour ne pas peiner un autre,
mais j’ai aussi menti sans raison.
J’ai pris le train, l’avion, l’automobile,
la plupart des gens ne peuvent les prendre.
Je suis allé à l’Opéra
la plupart des gens ne peuvent y aller et en ignorent même le nom,
mais là où vont la plupart des gens, je n’y suis pas allé depuis 1921,
à la Mosquée, à l’église, à la synagogue, au temple chez le sorcier
mais j’ai lu quelquefois dans le marc de café.
On m’imprime dans trente ou quarante langues
mais en Turquie je suis interdit dans ma propre langue.
Je n’ai pas eu de cancer jusqu’à présent,
on n’est pas obligé de l’avoir.
Je ne serai pas premier ministre, etc.
Et je n’ai aucun penchant pour ce genre d’occupation.
Je n’ai pas fait la guerre,
je ne suis pas descendu la nuit dans les abris,
je n’étais pas sur les routes d’exode,
sous les avions volant en rase-mottes,
mais à l’approche de la soixantaine je suis tombé amoureux.
En bref, camarade, aujourd’hui à Berlin, crevant de nostalgie comme un chien,
je ne puis dire que j’ai vécu comme un homme
mais le temps qu’il me reste à vivre, et ce qui pourra m’arriver
qui le sait ?